Après un long assoupissement au cours des premiers siècles du
Moyen Age, les villes du royaume de France connaissent un véritable
réveil autour de 950. Les cités anciennes élèvent de nouveaux
remparts pour accueillir une population toujours plus nombreuse et
des villes neuves voient le jour. Mais il faut cependant ramener
cet essor à sa juste dimension. Au Moyen Age, la population
urbaine reste largement minoritaire : elle ne groupe jamais plus
de 10 % à 15 % des Français. Le royaume est surtout rural.
Certes, les villes sont nombreuses mais souvent modestes. Notre
critère contemporain de deux mille habitants comme seuil démographique
du phénomène urbain ne saurait leur convenir. Ce n'est pas le
nombre des citadins qui fait la ville au Moyen Age ; la présence
de remparts, le statut des habitants et leurs métiers sont autant
d'éléments qui définissent l'urbanité.
L'essor urbain est contemporain de celui des campagnes et de la
poussée démographique que connaît alors l'ensemble de
l'Occident. Les récoltes plus abondantes dégagent des surplus
vendus en ville. La croissance de la population permet l'exode
d'une partie des populations rurales qui viennent chercher du
travail dans les cités.
Cette expansion urbaine n'est pas un mouvement spontané : elle
est contrôlée par les autorités seigneuriales, laïques ou ecclésiastiques,
qui cherchent à en tirer des bénéfices. La présence d'une
ville sur les terres d'une seigneurie est le gage de bénéfices réguliers.
La ville attire les foules par ses marchés, elle concentre les
richesses produites dans les campagnes. Désormais, la monnaie
circule. Les plus fortunés viennent dépenser en ville leur
argent et y acquérir les produits de luxe qu'on ne trouve pas
ailleurs.
L'essor urbain ne faiblit pas pendant les trois grands siècles
de la féodalité. Si l'on en croit l' Etat des feux du Royaume
réalisé en 1328, les villes françaises atteignent au début
du XIVe siècle une densité inégalée jusqu'alors. Avec deux
cent mille âmes, Paris est de très loin la plus grande ville
d'Occident. Les cités italiennes les plus peuplées, Florence et
Gênes, ne dépassent pas les cent mille habitants. La capitale
capétienne n'a pas de rivale dans le royaume. La plupart des cités
comptent entre cinq et dix mille personnes - c'est le cas d'Arles,
de Dijon, de Rodez, de Périgueux ou de Cahors.
Les seigneurs fondent des villes sur leurs domaines. Les châteaux
attirent les populations, donnant souvent naissance à des centres
urbains (Châteauneuf au nord, Castelnau au sud). Les abbayes
groupent autour d'elles des foyers de peuplement devenant parfois
de petites villes comme Cluny en Bourgogne ou Redon en Bretagne.
Pour attirer de nouveaux habitants dans des régions forestières
ou marécageuses inexploitées, les seigneurs concèdent des
franchises collectives, en particulier la liberté, et des
redevances allégées. Ces créations peuvent s'étirer le long
d'un front de défrichement ou d'une route comme
Villeneuve-sur-Yonne, fondée à partir de 1164, sur la voie
reliant Sens à Joigny.
Au début du XIIe siècle, les hospitaliers de l'ordre de
Saint-Jean-de-Jérusalem créent dans le Sud-Ouest des sauvetés (Salvetat,
Sauveterre). Ce sont des foyers de défrichement qui accueillent
des paysans placés sous leur sauvegarde.
Dans le Sud-Ouest, les bastides constituent l'un des réseaux
les plus denses de fondations urbaines. On en compte entre quatre
à cinq cents établies de 1230 et 1350. Foyers de peuplement créés
le plus souvent par un prince territorial comme le roi
d'Angleterre ou le comte de Toulouse, elles sont particulièrement
nombreuses dans la région frontalière entre les domaines capétiens
et plantagenêts. Leur finalité est d'abord économique. Elles
doivent permettre le défrichement et l'animation économique
d'une région rurale grâce à la tenue régulière d'un marché.
Mais elles ont aussi une vocation militaire et sont dotées de
fortifications. La première bastide est fondée à Cordes dans
l'Albigeois en 1222. Devenu comte de Toulouse, le frère de Saint
Louis, Alphonse de Poitiers utilise la création de bastides pour
quadriller un territoire nouvellement acquis (il en fonde
trente-six). Les rois d'Angleterre ne sont pas en reste, comme en
témoigne Sauveterre-de-Guyenne créée en 1281 par le roi Edouard
Ier afin de protéger la frontière de son duché de Guyenne. Ces
villes nouvelles adoptent un plan en échiquier, organisées
autour d'une place carrée entourée de demeures dont les arcades
au rez-de-chaussée abritent les étals des marchands. L'urbanisme
médiéval y trouve l'une de ses expressions les plus abouties.
La ville médiévale se définit avant tout comme un espace
clos par une enceinte. Longtemps au large dans ses murailles héritées
de la fin de l'Antiquité, elle commence à se sentir à l'étroit
et déborde de ses murs dès le XIIe siècle. Bourgs neufs et
faubourgs s'étirent le long des routes qui mènent à ses portes.
Vers 1300, certains bourgs sont devenus plus importants que la cité
qu'ils côtoient. Ils sont quelquefois intégrés dans une
nouvelle enceinte comme le bourg Saint-Sernin réuni à la cité
comtale de Toulouse en 1140. Dans d'autres cas, ils donnent
naissance à une ville bicéphale où la cité et le bourg
rivalisent au cours de longues querelles comme à Périgueux où
la cité groupée autour du château et de la cathédrale
Saint-Etienne est en compétition avec le bourg de Saint-Front.
A la fin du XIIIe siècle, la superficie des villes françaises
a considérablement augmenté. Celle de Reims a doublé entre 1160
et 1210. Les murailles sont agrandies ou reconstruites. A Metz,
les remparts entourent désormais une ville qui s'étend sur cent
cinquante-neuf hectares (contre soixante-dix vers l'an mil).
Pour accueillir les nouveaux venus, les villes s'entourent de
faubourgs, créations spontanées et souvent désordonnées. Mais,
il existe aussi de véritables opérations de lotissement. A
Paris, une famille de riches marchands et propriétaires fonciers,
les Barbette, lotit des terrains lui appartenant situés sur la
rive gauche de la Seine sous la forme de parcelles régulières
destinées à recevoir de nouvelles habitations.
Le secteur le plus dynamique de l'économie urbaine est sans
conteste celui du bâtiment. Les demandes sont nombreuses et variées
: chantiers de cathédrales, de châteaux, de murailles, de ponts,
mais surtout de maisons. Elles ne diminuent pas tout au long de la
période et se font de plus en plus exigeantes. Le textile connaît
également une véritable explosion. L'industrie de la laine fait
la fortune de la Flandre et des régions voisines comme l'Artois,
et de villes telles que Douai, Hesdin, Arras et Saint-Omer.
L'essor de l'artisanat commence dès le XIe siècle grâce à
l'apparition du métier à tisser horizontal. Celui-ci permet la
fabrication de longues pièces d'étoffes d'un seul tenant et
augmente la productivité. La draperie est une industrie hiérarchisée
et spécialisée. On y rencontre des femmes peigneresses ou
fileuses. Les tisserands sont des hommes d'âge mûr ; maîtres
d'atelier, ils occupent le sommet de la hiérarchie du métier.
Ils tissent les draps de laine qui sont ensuite confiés à
d'autres ouvriers pour les opérations de lavage et de dégraissage
du tissu. Les pièces de laine sont foulées aux pieds dans un bac
d'eau chaude à l'aide d'argile ou terre à foulon ; elles sont
ensuite placées sur des perches horizontales pour être battues
afin d'obtenir le feutrage du tissu. Elles sont à nouveau lavées
et foulées, puis tondues pour obtenir une meilleure finition.
Les draps de laine sont confiés aux teinturiers qui, avec les
foulons, sont relégués au dernier rang de la hiérarchie. Ils
utilisent la guède pour teindre la laine en bleu, la garance ou
la cochenille pour obtenir une couleur rouge, et la gaude pour le
jaune. Ainsi, il faut plusieurs semaines pour passer de la laine
au tissu apprêté et coloré. Les métiers du cuir forment un
autre groupe de professions particulièrement bien représentées
dans les villes. Depuis les corroyeurs et les pelletiers, en
passant par les tanneurs, les cordonniers, les bottiers, jusqu'aux
fabricants de selles, leurs activités, souvent mal perçues car
malodorantes, sont essentielles à l'économie urbaine. Les métiers
des métaux, forgerons, dinandiers, et orfèvres sont également
nombreux. Cependant, l'artisanat n'englobe pas la totalité des
activités urbaines.
La ville est aussi un centre de consommation et les métiers de
l'alimentation, en particulier les boulangers, les bouchers et les
poissonniers, y sont parmi les plus représentés. Toutes sortes
de marchands répondent aux besoins des habitants et des ruraux,
venus acquérir des biens introuvables à la campagne. Ces
marchands locaux sont pour la plupart anonymes à l'inverse des
riches négociants qui pratiquent le grand commerce. Ils n'en
constituent pas moins l'un des rouages essentiels de l'économie
urbaine. Ils animent les marchés et les foires fondés par les
seigneurs, évêques, comtes ou abbés. Les premiers marchands
appartiennent souvent à leur entourage. Installés en ville, ils
fondent des dynasties telles les Barbette. Certains pratiquent désormais
le commerce sur de plus grandes distances comme les riches
marchands de la Hanse de l'eau à Paris qui domine la navigation
sur la Seine.
Dès le XIIe siècle, les villes françaises voient la
naissance de métiers organisés. Qualifiés de métiers, de
jurandes ou de guildes, (le terme de corporation n'est alors guère
utilisé), ils s'implantent dans les villes du nord du royaume,
dans la région parisienne et dans le Languedoc. L'Ouest et l'Est
de la France ne les connaissent pas encore. L'origine de ces
associations demeure obscure. Elles naissent parfois de fraternités
regroupant des artisans de la même profession dans un souci
d'entraide mutuelle et de piété commune. Mais ce n'est pas
toujours le cas : ainsi, en Languedoc, la confrérie apparaît-elle
après le métier. Avant 1200, Paris, Amiens, Cambrai, Douai,
Pontoise, Rouen, Chartres, Bourges ont déjà leurs métiers
organisés. Ils s'implantent également en Languedoc dans la
seconde moitié du XIIe siècle. Les jurandes du Bassin parisien
sont des associations d'artisans ou de marchands fondées sur l'échange
d'un serment prêté par leurs membres. Ils s'engagent à
respecter les statuts du métier et à se porter assistance. Ils
obtiennent des privilèges des autorités municipales qui leur
confèrent une personnalité juridique, le droit de réglementer
leur profession et d'exercer la police du métier. Dans le Nord et
le Languedoc, les métiers sont soumis aux règlements promulgués
par les autorités municipales : ce sont les métiers réglés.
Les maîtres participent à l'élaboration des statuts de la
profession et élisent les responsables du métier. Pour devenir
maître - diriger un atelier - il faut justifier de ses capacités.
Dès le XIIIe siècle, certaines professions exigent le paiement
d'un droit d'entrée et la réalisation d'un chef-d'oeuvre qui témoigne
de l'habileté de l'artisan à la fin de son apprentissage.
Les maîtres dominent les ateliers au sein desquels les
apprentis acquièrent la pratique du métier. La durée de
l'apprentissage est variable : deux ans pour la plupart des métiers
de l'alimentation, jusqu'à dix ans pour les orfèvres. Les jeunes
garçons et les jeunes filles entrent en apprentissage vers l'âge
de quinze ans. Leurs parents concluent un contrat avec le futur maître
qui les loge et les nourrit chez lui et s'engage à leur apprendre
le métier. En échange, ces apprentis doivent travailler pour lui
et le servir avec diligence.
Cependant, tous ne parviennent pas à ouvrir leur propre
atelier. La plupart d'entre eux deviennent des valets, des salariés
dont les conditions d'embauche sont diverses, de la journée à
l'année.
Les métiers établissent les règlements de la pratique de la
profession : conditions d'embauche, salaires, durée du temps de
travail et jours chômés. Ces statuts ont pour finalité d'éviter
la concurrence entre les maîtres, de contrôler la qualité des
produits fabriqués et d'éviter les fraudes. Ces réglementations
sont souvent tatillonnes. Dans l'artisanat de la laine, elles
fixent, par exemple, le nombre de dents d'un peigne à laine ou la
nature des colorants.
L'Eglise est d'abord très réticente à la création de ces
associations d'artisans. En effet, la pratique du serment
d'entraide oppose une solidarité horizontale à la conception
verticale de la société en trois ordres. Cependant, au XIIIe siècle,
les principaux théologiens, notamment Thomas d'Aquin, acceptent
les métiers qui ont fait la preuve de leur fonction régulatrice
et se doublent de confréries religieuses pratiquant une dévotion
sincère. Dans la plus grande partie des villes du royaume,
l'atelier et la boutique restent liés. Cependant, au-dessus des
artisans boutiquiers se détachent des marchands qui vendent
toutes sortes de biens et pratiquent le prêt d'argent. Plus
riches encore sont les banquiers qui font parfois du commerce à
grande échelle. Ils constituent une élite urbaine, qui groupe à
Reims au XIIIe siècle une cinquantaine de familles pour vingt
mille habitants. Enrichis par le négoce et la banque, ils possèdent
d'importantes propriétés foncières en ville et dans les
campagnes environnantes. En dépit des réticences de l'Eglise -
« le marchand ne peut plaire à Dieu » -, leur puissance est
telle qu'ils finissent par s'imposer. L'apparition de la
bourgeoisie dérange l'harmonie des trois ordres imaginée par les
clercs à l'aube de l'ère féodale : elle introduit un facteur de
modernité dans la société médiévale.
Au XIIe siècle, le commerce international qui se noue entre le
Bassin méditerranéen et le nord de l'Europe se focalise autour
des foires de Champagne. Les marchands italiens, languedociens et
flamands s'y côtoient toute l'année afin d'échanger les draps
de Flandre contre les épices venues de l'autre côté des rives
de la Méditerranée. La création de foires tournantes fait de la
Champagne un centre de négoce unique en Europe. Les foires débutent
en janvier à Lagny, les marchands vont ensuite à Bar-sur-Aube en
février-mars, puis ils se rencontrent à la foire de Provins en
mai-juin. La foire chaude de Troyes prend la relève en juillet-août,
suivie par la foire de Saint-Ayoul à Provins en septembre-octobre
et le cycle se termine par la foire froide de Troyes en novembre-décembre.
Chaque foire se divise en trois temps : la montre où les
marchands exposent leurs produits, la vente pendant laquelle les
contrats se concluent, et le paiement qui donne lieu à d'intenses
activités de change. Par un système habile de protection, les
comtes de Champagne ont su attirer sur leurs terres les plus
grands négociants européens. Ils leur garantissent la sécurité.
La police des foires est contrôlée par les gardes des foires
assistés de sergents. Les foires stimulent le développement économique
de la région. Une richesse dont le patrimoine médiéval de
villes comme Troyes ou Provins témoigne encore de nos jours.